Des frites, encore des frites.

- Arrête Marshall, c'est pas mal non plus dans son genre, moi je me plais bien ici.

Je sais qu'il crêve d'envie de me dire que de toutes facons, tout semble toujours me convenir, mais il sait bien que non, donc il ne le dira pas, il me connait parfaitement, en tous cas assez bien pour savoir que tout ne va pas dans ma vie.

- Tu verras, Scarlett est géniale aussi. Et elle non plus n'a pas une vie facile, c'est le moins qu'on puisse dire, avec en plus un frère comme Marshall...

Je souris à Marshall, il le prendra bien, c'est sur. Ca arrive souvent que je dise des trucs comme ca.

- Wahou, vous mangez tous beaucoup.

J'ai failli dire comparé à moi, mais c'est inutile, tout le monde sait bien que je ne mange rien ou presque.

Je regarde mon assiette, je n'y ai presque pas touché, mais c'est vrai que comparée à Cassie... N'importe quelle anorexique mangerait beaucoup. Je souris :

-N'écoute pas Marshall, Emma. Cassie a raison, ce n'est pas un trou paumé, c'est une grande ville, avec tout ce que ça comporte de points positifs, et négatifs aussi, faut pas se voiler la face. C'est pas Londres, c'est sûr, mais il y a l'essentiel : une bonne boîte, des parcs, un terrain de sport. Que demande le peuple!

Je me tourne soudain vers Cassie:

-Allez, mange ta poire. C'est la première bouchée qui coûte.

Du coin de l'oeil, je vois passer Marie Laure Wright, le bouc émissaire du lycée. En même temps, elle est immonde, elle ne se lave pas, elle s'habille comme un sac, et elle ne fait que bosser. J'ai une idée, soudain, je sais, c'est futile, mais ça m'amuse: je tends mon pied au moment où elle passe, le plateau dans les mains. Et ça ne loupe pas : elle s'étale la tête la première dans les sardines. La cantine entière hurle de rire. Et Marie Laure ne sait plus où se mettre.

- Tu sais Alex', c'est pas parce que je ne veux pas manger que je ne mange pas, c'est parce que je ne peux rien garder ou presque, c'est pour ca que je ne mange pas, et c'est pour ca aussi que j'ai un suivi encore régulier à ma clinique.

Sans que je ne remarque rien, je vois Marie Laure s'étaler par terre. Je suis une des seules personnes qui ne ris pas, non pas que je ne trouve pas ca drole dans l'absolu mais parce que c'est bien le genre de truc qui peut m'arriver et je sais la gène que l'on peut ressentir. C'est pourquoi je ne dis rien, ni ne rigole.

Pauvre Cassie vraiment, en plus il faut bien reconnaitre que ses parents ne l'aident pas beaucoup à aller mieux, je lui propose donc.

- Hey, Cass', je pensais à un truc. Tes parents en ont rien à foutre de ce que tu peux bien faire de ta vie, et vu que quand tu es chez toi, c'est pire que tout, alors pourquoi tu ne viendrais pas à l'appart, au moins ca te changerai les idées. Je ne t'invite pas à y vivre tous les jours, mais au moins quand tu veux, et si c'est tous les jours bah c'est tous les jours, tu sais très bien que tu ne nous déranges pas.

Je ne m'attends pas à ce qu'elle accepte, non pas que ca la gènerait de vivre avec ma soeur et moi mais parce qu'elle sait que nous sommes déjà à l'étroit à deux et donc qu'avec elle en plus, on ne puisse même plus bouger, mais ca réponse est toute autre. Elle accepte, ca me surprend mais ca me fait plaisir, bien sur elle commence sa réponse par un "Wahou" venu d'ailleurs, comme à chaque fois que quelque chose la surprend. Moi c'est la réponse qui me surprend, mais c'est génial, on agrandit le cercle familial.

- C'est vraiment chouette ca.

On va s'arranger pour qu'on puisse dormir à trois dans notre appart', la mère d'Alex voulait qu'on prenne plus grand mais j'ai toujours refusé, je ne veux pas trop déranger, elle en fait déjà trop pour nous.
Marie Laure se ramasse et je pars dans un fou rire monstrueux étant donné que j'ai vu toute la scène, Gael a été extra, comme à son habitude, par contre moi, cette fois, je ne dirai rien qui envenime encore plus la situation, c'est rare pourtant, mais je me contente de rire, je ne suis pas d'humeur à en faire plus, j'ai encore le souvenir de la discussion en psycho.

Je regarde la demoiselle s'étaler, et je ne peux réprimer un fou rire: franchement, la tête dans les sardines, c'est trop hilarant. Elle va mettre des jours entiers à faire partir l'odeur dans ses cheveux. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens bien ici: et je suis maintenant persuadée que j'ai fait le bon choix. Je sens que je vais m'habituer à vivre ici, avec ceux qui sont autour de la table, avec moi. Ils sont très différents des "amis" que j'avais à Londres, mais ce n'étaient pas vraiment des amis, si j'y réfléchis bien. Des connaissances de casting. Alors qu'ici, je sais que si je me fais des amis, ce seront des amis à la vie à la mort. Ce que Marshall fait pour Cassie, c'est vraiment exceptionnel. Exceptionnel de gentillesse.

Je finis de manger à toute vitesse et dit à Gael.

- Bon, alors, moi, je finis à 16h, j'ai juste anglais cet aprèm et si quelqu'un à une heure à tirer après la pause déjeuner, qu'il se fasse connaître.
-Moi, je suis libre et je finis à 16h aussi.

Je me retourne vers Marie Laure, je ris aux éclats.

- Non, pas toi, je parle à des personnes fréquentables. Je refuse pour deux raisons, la première, tu me fais de la peine rien qu'à te regarder, et pas qu'aujourd'hui, les sardines n'arrangent rien mais je peux pas, c'est juste physique, et la deuxième raison, c'est que tu schlingues, j'en rajouterai même une troisième, tu me fais pitié, rebelle toi merde.
- Emma, tu finis à quelle heure ? Histoire que je t'attende si tu finis plus tard.

Je me retourne vers Gael.

- Bon, on se casse ?

Cette question n'attend pas de réponse, je me lève et commence à quitter la salle.

Je souris encore: à Londres comme à Bristol, il y a les têtes de turc, reconnaissables entre mille. Je sais bien que ce n'est pas correct de se comporter comme ça, mais franchement, qui s'en soucie? Même les profs le font, si ça se trouve.

-Je finis à 16h aussi, à cet aprèm'!

Je me lève de table, suivie d'Alexis qui m'emboîte le pas, laissant Marie Laure, si c'est comme ça qu'elle s'appelle, toute seule face à ses sardines.

Je suis Marshall sur ces mots, adressés à Miss sardine 2010:

-Ah, et bon appétit, anne laure la pécore!

Je finis ma poire, avant de partir à mon tour, de toutes facons, il n'y a plus personne, donc je n'ai aucune raison de rester ici. Avant de partir, je dis tout de même à la fille aux sardines.

- Allez, ce n'est rien, il y a des jours comme ca. Mais là tu devrais rentrer chez toi.

Je continue ma route vers la sortie, sans m'arrêter, je commence par philo et ca m'enchante car j'aime beaucoup cette matière.